Présentation de mon livre à la base d’appui :
Entre-Deux (Nantes)
Le mardi 10 Février 2015
Christian Ruby,
Spectateur et Politique,
D’une conception crépusculaire à une conception affirmative de la culture,
Bruxelles, La Lettre volée, 2015.
La photo illustrant ce propos étant du photographe Martin Paar (prise à la Maison européenne de la photographie)
Résumé de l’ouvrage :
Cet ouvrage présente une cartographie de thèses autour de la spectatrice et du spectateur d’art et de culture. Elle s’organise autour d’une profonde césure. Cette dernière sépare les tenants d’un discours pris dans le présupposé d’une nature du spectateur (« qu’est-ce qu’un spectateur ? ») et ceux d’un discours réfutant toute essence du spectateur (« comment, où et quand se fabrique le spectateur ? Quelles sont les conditions de la visibilité ? »).
Le constat de l’existence de cette fracture ne se limite cependant pas à cela. Elle encourage à se séparer de sentences ou de dogmes qui dérivent vers des nostalgies de l’espace public des Lumières, en récusant l’idéologie d’une essence dévoyée, par exemple par les médias, Internet,…, à restaurer.
Cette fracture contribue à mettre en public un véritable enjeu, dont la portée théorique, certes, mais aussi pratique, est décisive, malgré l’échange permanent des arguments autour desquels elle se livre. En effet, selon la manière d’élaborer la question du spectateur – relativement à un objet ou non (l’Art, les arts, la politique, l’histoire), à tel ou tel objet (les arts plastiques, le cinéma, Internet), en fonction d’une origine ou d’une histoire, en rapport avec des institutions ou non, dans la dépendance des industries culturelles ou non, en liant l’esthétique à la politique ou non,… –, soit on enferme le spectateur réel dans un appareil logique qui le contraint à être mécaniquement quelque chose ou rien, un spectateur ou un consommateur, un spectateur ou un citoyen, un être vigilant ou un être aliéné ; soit on se donne les moyens de le penser en devenir, en trajectoire et en composition, tant à partir de l’épreuve des œuvres qu’à partir de l’épreuve de lui-même et de la confrontation à la cité à laquelle il appartient.
L’augmentation du nombre de disputes consacrées ces dernières années au problème du spectateur ne peut être comprise tant qu’on ne saisit pas cet enjeu, lequel permet d’appréhender, avec discernement, les formulations de la question, les modes d’approche de la vie culturelle et artistique, et les espoirs sociaux et politiques qu’on formule à son égard ou à partir d’elle.
Présentation orale :
1 – Cet ouvrage ne cherche pas à présenter des généralités sur la culture du temps. Il prolonge des réflexions antérieures sur la question du spectateur d’art et de culture, dans l’optique d’une histoire culturelle et européenne des théories du spectateur. Cette fois, il prend plutôt à témoin des philosophes du XX° siècle, pour comprendre comment fonctionne leur pensée de spectateurs, leur pensée du spectateur et leur pensée sur le spectateur.
2 – Ce que ces auteurs mettent au jour, c’est l’existence de nombreux discours sur le spectateurs, lesquels, en laissant croire que le spectateur relève de sentiments individuels, révèlent une série d’assignations du spectateur à être le garant de la démocratie ; une série de normes (sensibles, genrées, disciplinaires, européennes) formant des partages du sensible ; une série de considérations philosophiques, rapportant toujours le spectateur à une essence (fixe et immuable).
3 – En fait, ils reconnaissent, malgré eux, que cette question du spectateur est foncièrement politique. Plusieurs objets communs animent ces discours : la reconnaissance de la place centrale du spectateur d’art d’exposition, du rapport entre cette place et la cité, des fonctions de l’esthétique,… Dans chaque cas, ils affirment qu’existe bien une politique constitutive de la figure du spectateur, celle de faire valoir la possibilité d’une communauté de goût, mais encore on lui confère un contenu spécifique, celui d’un goût homogène et uniforme
4 – En se confrontant à d’autres pratiques artistiques, les philosophes dont nous analysons le travail, proposent de penser le spectateur en émancipation. La fonction de la déprise et de la confrontation au partage du sensible, dans le cas du spectacteur, conduit à penser que « spectateur » correspond bien à une politique (non partidaire) : une place dans la cité et dans les partages induits par l’organisation de la sphère des arts et de la culture, une éducation esthétique aussi qui engage un rapport à l’autre et à soi, une fonction et un partage du jugement et du langage,…
5 – Nous dressons donc un panorama des figures du spectateur au XX° siècle :
Le spectateur garant (l’héritage), le spectateur résistant (l’offensive moderne), la volonté d’assurer le retour du spectateur garant (mélancolie, consensus, démocratie établie : prévention et censure), e spectateur affirmatif (émancipé).
Là réside l’opposition entre conception crépusculaire et conception affirmative de la culture.
7 – Dernier enseignement : Il porte sur le rapport des philosophes à cette question du spectateur.
– ils tiennent compte des postures spectatoriales possibles (l’histoire, la politique, les médias, Internet)… Ni hiérarchie, ni classement…
– Ils tiennent compte des pratiques d’art contemporain qui fustigent l’exposition (et aussi le vrai, le bien, le beau et le national imposés à la définition classique de l’Art), ainsi que, parfois, l’art d’exposition, et encouragent à frayer avec des champs nouveaux d’intervention (activateur, viveur, expérimentateur de sensibilité, spectacteur,…), en particulier celui d’une interférence.
– Ils nous apprennent que le spectateur n’est pas un donné, mais une fabrication résultant d’agencements différents : activités liées à des œuvres d’adresse indéterminée à […], dispositifs esthétiques (au sens élargi), médiations et inductions sociales et politiques, exercices de soi, mythes aussi. L’œuvre fait quelque chose (proposition, visibilité, affect,…), le spectateur est actif dans et par des exercices esthétiques différents et dans sa confrontation permanente avec les règles changeantes de l’art et de la cité, donc aussi avec soi (l’éducation reçue, la déprise de cette éducation, l’aventure du nouveau) et sa parole adressée aux autres, jamais passif.
– Et cela même s’ils lisent « dans le phénomène artistique une confirmation exemplaire de leur propre systématicité »[1]. Ils sont soucieux d’accorder l’art aux plans de clivages et aux lignes de force de leur problématique générale.
[1] FABIEN TARBY, « La Soustraction du sensible », in Gilles Deleuze, La logique du sensible, Adnen Jdey (dir.), Grenoble, De l’Incidence, 2013, p. 109.
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