Christian Ruby *
Conférence prononcée en Tunisie, grâce à Rachida Triki, le 24 – 04 – 2015, au cours du colloque : « Art et espace public : nécessité, enjeux ou défis »
De nombreux exemples modernes et contemporains, montrent qu’au terme d’une transformation d’un rapport de pouvoir, par révolution ou décolonisation, le remaniement des lieux publics est nécessaire non seulement afin d’y ôter les signes, symboles et emblèmes, de l’ancien pouvoir (1), ses monuments devenus « mensongers » et les représentations qui y étaient répartis, mais aussi afin de poser, à nouveaux frais, le problème de la fiction – Comment parler le nouveau rapport politique ? Quelle place y prend le peuple ? Quel avenir envisager ? – relative aux nouvelles conditions politiques et aux nouveaux partages du sensible.
Dans les exemples les mieux connus de notre part – Révolution française, révolutions politiques du XIXe siècle,… en nous bornant à des références européennes, supposant un droit démocratique de ce qui est public et ancré dans la laïcité -, la décision a consisté parfois uniquement à substituer une nouvelle représentation de la totalité à la précédente, dans les mêmes lieux et pour des cérémonies semblables (Jules Vallès s’en offusque, en et pour la France) ; parfois, ce sont les partages des lieux publics qui font l’objet d’un nouveau soin (ainsi des rapports tendus entre l’Arc de Triomphe, la place de la Bastille et celle de la nation, à Paris), avec un déplacement des figures et des artistes choisis. Toujours règne la doctrine empiriste selon laquelle la perception sensible des œuvres vaut éducation.
Pourtant, vite oublié, il a existé un tout autre cas qui mérite exploration. Il comporte deux volets. Posant le problème de la figuration du peuple, au cours de la Révolution française, le choix a été fait de préférer le vide (au moins momentanément) de figure plutôt que les nouvelles figures proposées par des artistes (le peuple en Prométhée, par exemple (2)). Insistait-on alors sur une impossibilité due à l’art (celle de figurer le peuple) ou sur une absence (celle du peuple dans l’action) ? Simultanément, néanmoins, l’invention de la fête civique, conçue comme modèle esthétique et artistique d’une action collective en public, venait se substituer à cette suspension, en insistant sur l’idée selon laquelle ce type de festivité est seul à pouvoir instaurer la nouvelle totalité socio-politique en secouant la passivité de ceux qui, habituellement, regardent seulement (les citoyennes et les citoyens), et seul à correspondre à l’art véritable du peuple.
Ce cas précis d’une polémique sur l’art (en) public est paradigmatique des dissensions volontiers évoquées aujourd’hui à l’égard de la question posée dans ce colloque, si on veut bien conserver une perspective émancipatrice. Quoique posées de manière dilemmatique : ou bien des œuvres dans les lieux publics pour y représenter le peuple dans ses actions et susciter un sensible partagé ; ou bien aucune activité artistique, puisque seul le peuple lui-même peut se donner dans sa mobilisation collective comme la véritable œuvre d’art.
Il nous semble cependant que nous pouvons réfléchir à la mise en œuvre de rapports effectifs de l’art et de l’espace public (3), en maintenant l’autonomie de l’art afin d’éviter la religion du peuple, et en privilégiant l’espace public sans l’identifier à l’art. Ce qui revient à s’extraire de l’alternative précédente. Et pas uniquement parce qu’il convient de tenir compte du fait que les formes de la pratique artistique ont changé, et que la représentation publique, la statuaire ou la figuration, ne sont plus le modèle de référence de l’art (en) public ; parce que l’empirisme n’est plus la doctrine dominante de ce type de présence des oeuvres ; parce que les conditions de la rupture politique ne sont pas uniformes (autrement dit, ce n’est pas à un Français à donner des conseils aux Tunisiens (4)) ; et que nous savons fort bien que art et politique ne sont pas des entités séparées (5). Mais, parce que ces options conflictuelles présupposent que l’art (en) public, l’espace public, les lieux publics, les « spectateurs » existent comme tels (en soi) et qu’on peut manifester une totalité par un seul biais (6).
Il n’y a pas de « propre » de l’art (en) public
Or, on ne peut référer à une quelconque essence de l’art (en) public. Les artistes ne sacrifient même plus à des modèles, à des formes spécifiques ou à une représentation codifiée, préférant performances, gestes ou protocoles en public.
Pour devenir art (en) public, des conditions (non légales, mais processuelles) sont requises : rapports entre l’art (en) public et le commun, entre le commun et le collectif (un lieu collectif fait-il commun ?), entre le commun et l’homogène ; mais aussi capacité des arts à produire une scène (et quelle scène ?) et pulsion des citoyennes et citoyens à construire leur scène politique partagée. Ce sont des conditions par lesquelles passe la mutation potentielle de la passante et du passant en spectacteurs, puisqu’il n’existe pas de spectateur en soi de l’art, encore moins de l’art (en) public (sauf flâneur volontaire ou chercheur). Il faut donc qu’à un moment ou un autre, une œuvre soit saisie comme œuvre publique pour fonctionner comme telle. Elle doit être, si on peut se permettre un tel néologisme, publicisée.
En un mot, le cœur de la réponse à la question posée dans ce colloque tient, pour une part, à l’existence ou non d’un processus susceptible d’instituer de l’art (en) public. C’est ce processus qui permet la mutation d’une oeuvre quelconque (plastique, poésie, musique, lettres, multi-médias, etc.) en art (en) public – son artialisation/publicisation, son écart par rapport aux limites de l’atelier et du marché. Il articule les paramètres énoncés ci-dessus : un paramètre artistique qui ne relève ni d’une intention si louable soit-elle de l’artiste, ni de canons artistiques, mais au moins de la capacité de l’œuvre à assumer une présence publique (l’œuvre ne peut pas être indifférente à son lieu d’exposition ou au lieu qu’elle modifie) ; un paramètre politique, celui de sa mutation en porteuse d’une puissance commune, de sa capacité à supporter la fictionnalité publique ; enfin, un paramètre indiqué par la situation locale, qui porte les citoyennes et les citoyens dans les lieux publics à s’inquiéter de leur agencement et de la fiction qu’ils veulent y instaurer.
L’art (en) public n’existe pas en soi, il fonctionne à partir d’une alchimie dont les dosages sont difficiles à cerner, mais qui agence ces paramètres, fussent-ils contradictoires. Au cœur de cette alchimie, conditionnée par le jeu de la visibilité publique, l’enjeu doit pouvoir être partagé. Il consiste en la volonté de création d’un « espace de jeu » – ni un espace ludique, ni un espace de dépôt -, un espace de mouvement, devenant l’outil à partir duquel se déterminent des possibles (artistiques, esthétiques et politiques ou civiques), parce qu’il fait jouer les unes par rapport aux autres les strates de la topographie des lieux, de l’histoire de l’art et des récits politiques en conflit (7).
Il n’y a pas de « propre » de l’espace public
Ni les lieux publics, ni les espaces publics n’existent en soi. Le lieu public – toujours déterminé par l’État, en Europe – est le dispositif (jamais neutre) que seule l’activité des citoyennes et des citoyens vivifie en espace public.
La preuve en est que, dans ce même cadre géographico-politique, les lieux publics procèdent d’un white cube, qui se répercute sur ou répercute un espace public de même nature. Si on déplace un petit peu le sens acquis de cette expression, white cube, dans le cadre des arts d’exposition modernes, ou si on réfère un peu formellement à son sens technique (1960, un lieu soustrait aux données spatio-temporelles), il est en effet possible de l’utiliser ici pour fixer une image à destination de la réflexion sur les espaces et lieux publics : des espaces dans lesquels l’action des citoyennes/citoyens est remplacée par des représentations commandités ou leur seule présence immédiate.
En considérant que les lieux publics actuels procèdent du white cube, malgré l’effort de quelques artistes, nous ne voulons pas dire que ce sont des lieux vides et blancs, d’autant qu’il est très manifeste qu’ils sont occupés par toute une histoire cristallisée et parfois encombrés par une esthétisation dont la propriété est qu’elle fait une OPA sur les corps des spectatrices et spectateurs. Nous voulons dire qu’ils sont vides actuellement de leur dimension publique et donc politique, devenus surtout des lieux de contrôle de l’ordre public par l’État.
De ce point de vue, ce sont des lieux devenus des lieux d’errance citoyenne, des lieux de plus en plus privatisés par des intérêts individuels (fragmentés en une multitude de petites sphères privées : portable, exposition de soi,…) ou par des activités commerciales, des lieux supports d’une esthétisation ou demeurant lieux de cérémonies publiques largement décrédibilisées, voire estrades électorales. Ces caractéristiques sont d’ailleurs corrélatives, au sens où l’esthétisation de ces lieux s’accentue au fur et à mesure de leur privatisation, soit pour la masquer, soit, parfois, pour y pallier par des jeux de communication publique maitrisés.
En tout cas, les lieux et les espaces publics non seulement n’existent pas en soi, mais sont neutralisés. On s’y et se présente (s’y montre),… si possible (car il y a des exclus). C’est à peu près tout au quotidien, mis à part les efforts des artistes qui tentent de transformer les lieux publics en lieux d’exposition, résistants, militants.
Le formalisme de l’esthétique
L’inexistence de l’art (en) public en soi et de l’inexistence de ce qui est véritablement public, a pour conséquence un premier formalisme. Les autorités, et parfois les artistes, se lancent dans des opérations, en laissant croire que le monde en sera changé par leur action et que les citoyennes et les citoyens seront transformés par la contemplation publique du résultat de leur décision. Ce qui, à tout le moins, manifeste une illusion esthétique, celle d’un pouvoir mécanique de l’art (en) public et de l’existence du spectateur en soi.
Là encore, il n’existe pas de spectatrice ou de spectateur en soi, de l’art et de l’art (en) public. On ne saurait continuer à en parler non plus sous une doctrine empiriste/mécanique, quoique présupposent une partie des tenants d’un art public « révolutionnaire », parce qu’il serait marqué au sceau d’une « cause » immédiatement dotée d’effets.
Or, la réception des œuvres d’art n’est jamais mécanique mais toujours dynamique. Le « récepteur » (si cela existe) ne reçoit pas des signaux auxquels il doit répondre ou se soumettre, il reçoit des significations dans un jeu de sensibilité (qui est aussi une forme de pensée) et de visibilité, et il construit son monde dans la forêt des signes qui lui sont présentés, à l’aune du temps de ses expériences du monde, d’un temps requis pour les voir, les entendre ou les examiner, un temps en quelque sorte de « loisir », fût-il arraché au temps contraint. Chacun y ordonne son propre montage, et parfois à contre-courant de ce que souhaitait l’artiste, et l’insère dans son existence. La culture publique s’y présente moins comme un type d’œuvre que comme l’ensemble des exercices par lesquels les femmes et les hommes se tiennent debout en toutes circonstances ;
Ce qui a pour conséquence que nul ne peut décider de la réception des œuvres et de ce qui est recevable par avance. La propriété d’une œuvre d’art est qu’elle est une proposition faite par un artiste, par l’intermédiaire d’un objet (peint, sonore…), d’un geste ou d’un discours, d’adresse indéterminée à tous. Toute œuvre qui calcule d’avance les effets qu’elle veut produire n’est plus une œuvre d’art, mais une œuvre publicitaire ;
Le trait le plus important de l’œuvre d’art (en) public, qui est une puissance sensible de la pensée, est d’arriver à dépasser la simple réception ou la réception singulière, pour exister dans l’espace des mots et dans l’espace public (la politique de l’art), ou des mots de l’espace public, celui de la communauté des spectateurs et auditeurs dont on sait qu’elle est constamment à refaire.
Pour tout dire, l’intelligence de la spectatrice ou du spectateur ou de l’auditeur, devenus tels, est donc d’échapper par tous les biais possibles aux assignations… et de ne pas se soumettre aux cadres institutionnels de la domination esthétique, y compris en public.
Le formalisme de l’art et de l’espace public
Plus les questions sont référées à des essences (de l’art, de l’espace public, …), plus le lien avec les arts est pensé sous une inspiration d’animation sociale ou d’esthétisation des lieux liée à l’approfondissement des partages publics. En nous bornant au contexte français, une exploration rapide montre que ces perspectives sont installées avec insistance dans de nombreux projets d’artistes, dans l’esprit du public, et chez les femmes et hommes politiques à l’occasion des rénovations urbaines, des recherches de lieux d’expression pour les artistes et de projets de contenir ou canaliser les expressions publiques.
On n’y interroge pas les notions de lieux publics, d’espace public, de public, d’art (en) public, croyant qu’elles font immédiatement partie du fondement politique de la société dite moderne. Habitudes aidant, de nombreuses propositions artistiques se cantonnent à imiter du commun, par des invitations personnelles, faites aux passantes et aux passants, à prendre du temps pour soi, à s’isoler de la réalité, à travestir une résistance nécessaire à la minoration en un retrait individuel. Aux yeux de trop d’artistes, la rue est un espace réputé libre ! Pour d’autres, penser « public », c’est, dans les conditions de la démocratie de masse, chercher à faire grand pour des flux publics ! Certes, le lieu public est l’occasion d’affronter le monumental, d’en découdre avec la taille des formats, avec celle des grands événements et de ne pas se dissoudre dans les biennales. Mais ce n’est pas ce que nous cherchons ici.
En un mot, généralement, ce sont des caricatures qui prennent le pas : les uns veulent de l’art pour convertir le peuple et les autres un peuple qui soit à lui-même son art. Ce qui se traduit par une série d’impossibilités :
Plus il s’agit de l’espace public, plus la question est celle des clivages politiques et moins elle est celle de l’art ; plus il s’agit des lieux publics, plus la présence de l’art peut masquer les partages et entraîner à la contemplation, et par conséquent éloigner des problèmes du présent ? Sans doute en ce sens les speaker’s corners des parcs londoniens sont plus centraux (politiques) que les oeuvres d’art. À l’inverse, plus il s’agit d’un art qui veut impacter l’espace public, moins il est art (en général, d’ailleurs être féministe ne signifie pas ne parler que de féminisme dans son oeuvre, être révolutionnaire ne signifie pas nécessairement parler mécaniquement de la révolution, etc.) ; ou encore, plus il s’agit d’art, plus l’espace public est concerné, mais moins les lieux publics le sont nécessairement (il y a aussi Internet) ; etc.
Que peut l’art ?
Que peut donc l’art plus modestement ? Que fait-il ? Peut-on surmonter l’opposition simple entre œuvre d’art sur le peuple ou action collective prise pour l’art ?
S’il n’existe pas d’essence de l’art (en) public, c’est que n’importe quelle œuvre peut devenir art (en) public, sous les conditions précisées ci-dessus. S’il n’existe pas de lieux publics destinés, c’est que l’art peut être n’importe où. Si l’espace public incombe à chaque citoyenne/citoyen, et non aux seuls artistes, qui pourtant sont aussi des citoyennes et des citoyens, c’est que cet espace n’existe que sous la condition d’une action commune-collective.
La question continue à se poser alors que nous avons côtoyé les résultats des arts participatifs, collaboratifs, implicatifs, activateurs, relationnels, etc. Certes, dans leur ensemble, ces pratiques ont bien privilégié une dimension de dialogue, de rapprochement entre les personnes, d’aménagement d’espaces conviviaux,…. Pourtant, un doute persiste. Que peut vraiment l’art ? Peut-il transformer spécifiquement des lieux publics en lieux politiques, disons les repartager, puis les muer en espaces publics, s’il reste pourtant vrai que dans la relation singulière à l’oeuvre, la spectatrice ou le spectateur peut s’interroger.
Rêve de restaurer la totalité perdue par l’art ? Est-ce que, si automatiquement, devenant spectatrice et spectateur, les citoyens dépassent l’œuvre par l’œuvre de s’accomplir eux-mêmes, c’est déjà moins certain ?
Nous n’adhérons pas à cette thèse. Nous pensons en revanche que l’art peut mobiliser ces lieux aux fins d’une autre circulation dont la propriété serait de faciliter la déprise des assignations, y compris du risque d’une idéalisation du peuple. Ils ont la capacité de mobiliser les lieux publics en lieux d’exposition (déambulation attentive, discussion,…).
Mais alors ce ne serait plus les oeuvres, chacune pour soi, critique ou interactive (ou non), qui importeraient pour la politique, à savoir ici le processus de désassignation et de subjectivation, mais l’ensemble articulé en public qui pourrait, nous semble-t-il, provoquer de nouvelles circulations au sein desquelles se joueraient de tels processus. C’est l’ensemble, donc le mouvement déclenché, qui pourrait devenir le réceptacle critique de nouvelles fictions – petits et grands récits -, à partager en public, à partir des projections sur les oeuvres et de l’acquisition d’une sensibilité au partage (partage de l’espace et partage de la parole, en deux sens différents du terme « partage »).
C’est à partir du travail de l’art portant la possibilité d’une telle interaction, spatiale et langagière, entre « spectateurs », que l’espace public pourrait être activé. C’est là, à notre sens, que pourrait s’engager la/une politique.
Qu’est-ce qui fait art ?
Ni les œuvres seules, ni l’espace public seul. Les unes ne promettent que le sensible partageable en s’identifiant trop vite au tout ; l’autre ne promet que le tout sans différenciation. Ce ne serait donc que par la simultanéité et la multiplicité des activités, en archipel, tout à la fois artistiques et politiques, qui se distribueraient dans les lieux publics, qu’une pulsation commune et des interférences entre acteurs pourraient vivifier un espace public (8).
Si les œuvres agissent sur le déplacement des passants, sur le temps disponible dans les lieux publics, si elles mettent à l’épreuve les immersions possibles, la construction envisageable de récits, la confiance ou non mise dans le grand récit public local, elles donnent aussi l’occasion de parler en public, d’oser parler en public, et de trouver les voies d’un langage commun. Là est la ressource du politique et de l’émancipation.
Dès lors, il apparaît non moins clairement que ce n’est pas tant le problème d’être « acteur » (la mode, le portable, y suffisent ou y poussent d’une manière particulière) qui est en jeu, mais celui de devenir acteur de l’espace public…. En un mot, l’art ne peut guère faire autre chose que d’impulser notre devenir public. Ou notre devenir enjeu central de l’espace public. C’est en ce point que s’active la mutation de la passante ou du passant en spectacteurs. Dans l’entre-deux des œuvres multiples, l’entre-deux d’une lumière ou d’un mur peint, d’une trace murale ou d’un son, mais aussi d’un slogan ou d’un appel, qui fait jouer, ainsi que nous l’avions proposé dans l’exposition Tool Box (Nantes, 2008 ; des protocoles de performances à activer en public) le visible, sans faire scène particulière, avant que les citoyennes et citoyens, que sont aussi les artistes, construisent la scène politique.
Notes :
(1) Quitte à les placer dans un musée, ou les rassembler dans un jardin réservé à la culture des jeunes générations. Sur un terrain semblable, nous avons étudié le sort fait aux oeuvres publiques liées à la colonisation à Paris (Exposition de 1937), ainsi qu’aux oeuvres récemment dédiées à l’abolition de l’esclavage.
(2) Tel qu’on peut encore le voir au château de Vizille, près de Grenoble, musée de cette Révolution.
(3) Il est possible de distinguer les lieux (physiques) et les espaces (formes citoyennes) publics ; l’art public (engagé sur des fonds d’État) et l’art en public ; etc.
(4) Et que de nombreux exemples dans ce pays montrent que dans l’ancienne société musulmane le partage privé-public n’est pas le même, la place publique n’existe pas, et la calligraphie exaltant l’ordre divin est prégnante ; mais aussi qu’il faut tenir compte de la politique publique de l’ancien régime déchu, des nouvelles conditions postérieures à la révolution du Jasmin, etc.
(5) Cf. Jacques Rancière, Le partage du sensible, Paris, La Fabrique, 2000.
(6) Or, précise fort bien Jacques Rancière (Et tant pis pour les gens fatigués, Paris Amsterdam, 2009, p. 367), « Il n’y a pas de raison que le peuple politique qui, au sens strict, n’existe pas trouve sa représentation adéquate dans telle figure narrative ou tel corps cinématographique ».
(7) Ou, toujours dans les termes de Jacques Rancière (ibidem, p. 368) : « C’est à la politique de se saisir des formes de refiguration produites par les arts pour ses propres constructions ».
(8) Il serait facile de montrer que regarder une œuvre, observer une œuvre dans les lieux publics, peut participer d’une entreprise de subjectivation grâce à laquelle les objectivations normatives constitutives du sujet-spectateur esthétique ou du spectateur classique se trouvent dénouées. Ces pratiques de l’écoute, du voir ou de la lecture, à concentration d’autant plus vive que l’œuvre pratique des écarts ou que l’œuvre révèle les partages et les normes sociaux, deviennent autant de ruses, faisant droit au bonheur de se détacher de ces normes en découvrant d’autres langages que ceux imposés, dans lesquels le sujet parlant vient à s’évanouir.
* L’auteur : Christian Ruby, Philosophe, Docteur en philosophie, Formateur de médiateurs culturels, membre de l’Observatoire de la liberté de création. Dernier ouvrage paru : Spectateur et politique, D’une conception crépusculaire à une conception affirmative de la culture ?, Bruxelles, La Lettre volée, janvier 2015. Sur l’art public, consulter : L’Art public, un art de vivre la ville, Bruxelles, La Lettre volée, 2001.
Site de référence : christianruby.net
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