Rendez-vous au musée du Louvre, pour l’exposition Franz Xaver Messerschmidt (1736-1783), cet artiste auquel nous devons ces “têtes de caractère” (réalisées à partir de 1771), exclusivement masculines, si connues dans le monde entier. Occasion nous est surtout donnée d’examiner comment certains artistes “classiques” posaient le problème des rapports Arts et Sciences, ici les sciences “humaines”. Ces têtes, en effet, exclusivement frontales, figurent des “caractères humains”. Les titres : l’homme au noble cœur, le scélérat, l’artiste en train de rire, l’homme qui pleure comme un enfant, un vieux soldat grincheux, un renfrogné, un sauvé de la noyade, un bassoniste incapable, un chagrin rentré, un homme de mauvaise humeur, un autre qui bâille, un scélérat, un hypocrite et calomniateur, l’odeur forte au nez plissé et aux narines dilatées ou encore un constipé enfoncé dans son cou gonflé par l’effort.
Le prétexte de l’exposition est résumé ainsi par le Louvre même : “Le musée du Louvre a acquis en vente publique à New York, le 27 janvier 2005, avec le soutien de la Société des Amis du Louvre et du Fonds du Patrimoine, une oeuvre très rare du sculpteur autrichien Messerschmidt : une Tête de caractère en plomb. Ayant figuré au Musée historique de Vienne depuis la Seconde Guerre mondiale, elle fut restituée aux héritiers du collectionneur viennois Richard Beer-Hofmann (1866-1945) dont les biens avaient été confisqués par les nazis. Messerschmidt, qui commença sa carrière comme sculpteur à la cour de Vienne, réalisa après 1770 une série de têtes grimaçantes, dérivations singulières de son autoportrait. L’oeuvre représente un homme au visage déformé par la douleur, les yeux fermés, une bandelette posée sur les lèvres (une allusion aux expériences sur le magnétisme du docteur Mesmer, ami du sculpteur). Elle est caractéristique de ce reflet grinçant des Lumières qui est aujourd’hui si abondamment commenté.”
A ce commentaire lapidaire, ajoutons deux remarques. Il serait nécessaire d’une part d’entreprendre une exploration de la notion de “caractère”, puisqu’il s’agit de la dénomination retenue, depuis la création de ces œuvres. Cette notion, conçue par Aristote, n’est plus prisée de nos jours. Elle signifiait cependant : manière d’être habituelle qui exprime la qualité ou l’individualité de tel ou tel, sa qualité propre, sa marque distinctive. Cette notion était destinée à manifester l’unité de potentiels au sein d’une personnalité. Cet usage correspond-il au cas ?
Il serait pertinent, d’autre part, de déployer à partir de cette première remarque un examen des rapports entre les arts et la physionomie, parfois la physiognomonie du XIX° siècle, et plus souvent la psychiatrie telle que répandue à la même époque. La représentation de l’expérience émotionnelle, la figuration des yeux, des paupières, des bouches, liée moins à l’art de la grimace (selon le titre de l’ouvrage de Martial Guédron, “L’Art de la grimace : cinq siècles d’excès du visage”, Paris, Hazan), déjà exploré par Charles Darwin et quelques auteurs de traités consacrés aux “grimaces de la passion”, qu’à l’art médical de la souffrance, vient aussi solliciter les arts sous forme cathartique. Ce qui effraie dans la réalité est transcendé par l’art, même s’il se réclame du naturalisme…. aux fins de maîtrise !
En un mot, la question est moins de savoir si Messerschmidt était malade et se représentait lui-même dans ses œuvres (ce qui ferait des œuvres un “cas” psychanalytique), ou si ses œuvres ont un autre intérêt que documentaire (culte de la folie, des anormalités de toutes sortes), que celle de savoir comment un artiste trouve son inspiration dans la description par le nouveau pouvoir médical mis en place d’une souffrance muette pour encore longtemps, et se met à contester par là les formes mêmes de la normativité sociale.
Exposition au Louvre du 26-01-2011 au 25-04-2011.
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